Hommage à François Roddier

Publié le: 19 octobre 2023

Un des pères fondateurs de la HRA

A la fin de l’été 2023, nous avons appris avec tristesse, la nouvelle du décès de François Roddier (23/09/1936 - 19/08/2023), un des pères fondateurs de ce qui est devenu un domaine d’expertise emblématique de la France et qui justifie encore aujourd’hui, l’existence d’une action spécifique pour la haute résolution angulaire (ASHRA).

Quel que soit le focus thématique HRA: qu’il relève de l’optique atmosphérique, de l’optique adaptative, de l’interférométrie optique, de l’imagerie à très haute dynamique et des techniques de traitement du signal et des données associées, nous trouvons, à l’origine de beaucoup de ces îlots de richesse technologique et méthodologique, des références à des publications fondatrices émanant de François.

Pour faire apprécier la richesse, la diversité, la profondeur et la portée de ses travaux de François Roddier, le CS de l’ASHRA a proposé à quatre collaborateurs et/ou connaissances proches, de nous livrer chacun un témoignage correspondant à un moment clé de sa carrière. Nous remercions chaleureusement Claude Aime, Gérard Rousset, Olivier Guyon et Olivier Lai, d’avoir accepté de nous parler respectivement de ses débuts dans le département d’astrophysique de l’Université de Nice; de ses travaux pionniers sur l’optique adaptative sur les grands télescopes optiques de Mauna Kea; des grandes généralisations et des ponts qu’il a établi entre l’interférométrie et l’imagerie très haute dynamique; et de la réflexion fascinante qu’il a menée après son départ à la retraite, sur la thermodynamique de l’évolution et ses conséquences sur l’émergence de la vie et l’économie humaine. Il y a de quoi avoir le vertige en faisant le tour de toutes ces contributions à l’origine de l’existence de notre action spécifique.

Avec un tel parcours, François Roddier a évidemment contribué à la formation de nombreux jeunes chercheurs et chercheuses, ce qui a naturellement résulté en un grand nombre de collaborations. Une recherche de son nom dans ADS révèle une impressionnante bibliographie de 275 articles à laquelle il est associé. En collaboration avec nos quatre contributeurs, nous proposons également, en fin de page, une sélection d’écrits, jugés comme fondateurs, dont François est le premier ou le seul auteur.

Frantz Martinache & Elodie Choquet, pour le CS ASHRA

Quelques dates clés de la carrière de François

  • 1936: Naissance le 23 septembre à Paris
  • 1960: Diplôme de l'ENS (rue d'Ulm) et agrégation de physique
  • 1964: Thèse de doctorat
  • 1965: Professeur à l’université de Nice
  • 1984: Détachement à NOAO à Tucson (Arizona, USA)
  • 1989: Détachement à l’Institut d’Astrophysique de l’Université de Hawaï (USA)
  • 2001: Retraite et retour en France
  • 2023: décès le 19 août à Hyères

François Roddier, professeur à l’Université de Nice et chercheur précurseur en haute résolution angulaire

Contribution offerte par Claude Aime

François Roddier, normalien et agrégé de sciences physiques, effectue sa thèse de doctorat dans le laboratoire de Jacques Blamont sur la réalisation d’un spectrographe à jet atomique et son application à l’observation solaire. Il soutient en 1964 et devient professeur à l’Université de Nice l’année suivante. C’est alors la création de la Faculté des Sciences, avec comme doyen le mathématicien Jean Dieudonné, et la renaissance de l’observatoire de Nice sous la direction de Jean-Claude Pecker.

François Roddier crée à Valrose le Département d’Astrophysique et s’entoure de jeunes étudiants et chercheurs, auxquels vont se joindre bientôt des Maîtres assistants venus d’un autre laboratoire. Tous deviendront ses élèves, reconnaissant en lui un directeur de recherche incontesté, à la fois exigeant et bienveillant. Il donne les grands axes des recherches, encadre chacun de très près, trouve les solutions à des situations de blocage et est très peu exigeant en terme de participation aux publications, ce qui n’est alors vraiment pas la pratique des directeurs de laboratoire de cette époque.

La première thématique de recherche, développée par son premier étudiant en thèse Éric Fossat, est dans le droit fil des observations solaires à très haute résolution spectrale, en remplaçant les systèmes à jet atomique par une cellule à résonance de sodium. En utilisant l’effet Zeeman, les deux flancs de la raie D1 du sodium sont analysés temporellement pour en déduire les vitesses par effet Doppler. Le système est très stable et permet des mesures très précises des oscillations solaires. Pour obtenir des observations sur de longues périodes, François Roddier impulse la transformation en télescope solaire de l’équatorial coudé de l’observatoire de Nice. Eric Fossat et son équipe iront ensuite faire des observations de très longue durée au dôme C du pôle Sud, et ce sera le développement de l’héliosismologie.

En parallèle à ces recherches, François Roddier s’intéresse aux travaux de Antoine Labeyrie qui en 1970 invente la technique de speckle interférométrie. Il devient possible, en calculant la densité spectrale spatiale des images, d’obtenir la résolution limite d’un télescope en dépit de la turbulence atmosphérique. Comme de nombreux opticiens par le monde, François Roddier se lance alors dans l’étude des techniques interférométriques et de la propagation de la lumière dans l’atmosphère terrestre, avec le formalisme mathématique nécessaire à une compréhension rigoureuse des phénomènes. C’est lui qui va montrer les similitudes existant entre la technique d’imagerie par speckle masking (triple corrélation) et la clôture de phase.

Le premier travail sur la turbulence atmosphérique est fait avec Jean Vernin, sur l'analyse multidimensionnelle de la scintillation stellaire. De nombreuses études suivront, ouvrant des voies nouvelles pour la recherche et la qualification des sites astronomiques. Pour les besoins de calculs statistiques intensifs, François Roddier fait développer au laboratoire un corrélateur électronique pouvant faire des calculs très rapides et qui concurrence alors ceux de Princeton Applied Research. On est là très loin des calculs rapides actuels sur ordinateur par GPU.

François Roddier dirige ensuite mon travail de thèse sur l’étude à haute résolution angulaire de la granulation solaire, et nous développons ensemble diverses études statistiques, de la répartition spatiale des granules à l’étude de l’interférométrie de speckle différentielle. Ces techniques se développent avant d’être supplantées par les systèmes d’optique adaptative donnant des résultats remarquables, y compris pour les observations solaires, et bien sûr par les observations spatiales.

Dans le même cadre de la haute résolution angulaire, Claude et François Roddier développent un très délicat rotation shearing interferometer, dont ils décrivent la théorie et effectuent des applications astrophysiques, notamment pour l’observation à haute résolution angulaire de Betelgeuse.

François Roddier, qui était totalement investi dans la recherche, l’était tout autant dans l’enseignement. A la création de l’université, il est le responsable du certificat de thermodynamique, matière qu’il reprendra beaucoup plus tard. Il crée le DEA d’astrophysique, qui changera de nom au fil des diverses habilitations. François s’investit tout particulièrement dans des cours de mathématiques au niveau de la maîtrise de physique, cours qui sont à l’origine de son remarquable ouvrage « Distributions et transformation de Fourier ». Publié dès 1971, il s’y présente comme un physicien expérimentateur et complète ce titre trop mathématique par un modeste « à l'usage des physiciens et des ingénieurs ». Il y montre que, grâce à la théorie des distributions, la convolution et la transformation de Fourier deviennent des outils indispensables dans des disciplines expérimentales comme l’électronique et l’optique. Son petit livre à couverture verte deviendra le livre de référence de plusieurs générations d’étudiants et de chercheurs. La présentation des distributions y est d’une rigueur mathématique sans concession et on y trouve en complément de nombreux exercices dont certains trouvent une application directe à des expériences de recherche. Les éléments de solution qu’il donne sont très succincts, à l’image des explications de François Roddier dans les réunions de laboratoire où il développe souvent des considérations mathématiques, en s’étonnant que l’on ait très souvent du mal à le suivre !

François donne aussi des cours très rigoureux sur l’optique de Fourier. Il est à l’origine de travaux pratiques d’optique qui ont fait comprendre aux étudiants de plusieurs générations ce qu’étaient la diffraction de Fresnel, le filtrage optique et de réaliser par l’expérience ce qu’était une transformée de Fourier à deux dimensions. Au niveau du DEA, il donne des cours sur la propagation de la lumière à travers l’atmosphère terrestre dont le prolongement sera sa publication dans Progress in Optics de 1981, très souvent citée.

François Roddier et les débuts de l'Optique Adaptative

Contribution offerte par Gérard Rousset

C’est lors de son séjour au NOAO à Tucson (Arizona), entre 1984 et 1989, que François Roddier s’implique dans un programme de recherche américain pour l’application de l’optique adaptative (OA) à l’astronomie. S’appuyant sur ses travaux sur les propriétés caractéristiques de la turbulence atmosphérique en astronomie (Roddier 1981), il mène une première étude théorique d’analyse des erreurs intrinsèques en OA liées à la structure de l’atmosphère et aux effets chromatiques. Il cherche par ailleurs à concevoir un système d’OA qui puisse être le plus efficace possible pour un nombre de degrés de liberté donné dans le système.

Il s’intéresse alors à la mesure de la courbure du front d’onde qui présente une forte décorrélation spatiale contrairement aux pentes mesurées par un analyseur de Shack-Hartmann. Il réalise que la courbure peut être aussi directement la commande à appliquer à un miroir déformable (bimorphe par exemple) dont la déformation mécanique est régie par une équation de Poisson. François peut ainsi avoir une parfaite correspondance entre mesures et commandes et donc une « matrice de commande » quasi-diagonale.

Comme analyseur de courbure, il propose tout simplement de faire la mesure dans un plan défocalisé (de part et d’autre du foyer) des sur- ou sous-intensités induites par les courbures du front d’onde présentes dans la pupille. C’est le concept que François présente lors d’un atelier de la fondation LEST en 1987 et qu’il publie en 1988. Toutes les idées avancées par François sont très élégantes, s’appuyant sur sa parfaite maîtrise de la physique. A partir de là, il s’attache à développer les technologies nécessaires à ce nouveau système d’OA pour le rendre opérationnel sur un télescope. Il le fera à l’Université d’Hawaii durant les années 1990 où il s’entoure d’une équipe d’ingénieurs et jeunes chercheurs.

Pour avoir la meilleure exploitation possible des photons de la source observée, il fait preuve d’inventivité. Il propose l’utilisation, comme détecteur, de photodiodes à avalanche (APD) à comptage de photons ayant un bon rendement quantique. Elles viennent d’être disponibles commercialement. La performance est bien supérieure aux CCD intensifiés de l’époque utilisés couramment pour l’analyseur de Shack-Hartmann. Une seule photodiode est utilisée par sous-pupille de mesure. Pour coupler les photons aux photodiodes, il échantillonne la pupille avec un réseau de microlentilles qui injectent la lumière dans des fibres optiques, la transportant ainsi jusqu’aux photodiodes. Pour le choix du miroir déformable de type bimorphe, il met en avant son avantage de posséder une grande course pour les basses fréquences spatiales correspondant parfaitement aux besoins de la turbulence à compenser. Il optimise aussi la configuration des électrodes pour maximiser l’efficacité des corrections. Il collaborera avec Laserdot (aujourd’hui CILAS) en France pour la fabrication de miroirs à relativement bas coût. Un membre de son équipe développera aussi des solutions en interne.

Une série de systèmes d’OA à courbure ont été construits par l’équipe de François pendant cette période, commençant avec 13 degrés de liberté (13 APD et 13 électrodes sur le bimorphe) en passant par 36 puis 85 (système Hokupa’a). Ces systèmes seront caractérisés à chaque fois par la volonté de rechercher une performance optimale à coût le plus réduit possible. Des premiers tests sur télescope eurent lieu en 1991, mais le premier système opérationnel sera testé au CFHT en 1994. Des observations régulières auront lieu ensuite, soit au CFHT, soit au UH 88’’. Suivront ainsi des observations diverses : objets du système solaire (Io, anneaux de Saturne, Neptune…), étoiles jeunes comme la binaire GG Tau et son disque ou amas d’étoiles (Trapèze…), dont les images révèleront des détails de très grand intérêt.

Les systèmes d’OA à courbure ont eu un succès remarquable dans la communauté astronomique avec les principaux développements suivants :

  • le système PUEO à 19 électrodes installé au CFHT en 1996
  • au télescope SUBARU avec un miroir à 188 électrodes (2006)
  • au VLT (ESO), les 6 systèmes MACAO à 60 électrodes (2003) équipant les 4 UT de l’interféromètre et deux autres instruments.

A noter aussi, que François propose avec son épouse Claude l’utilisation des principes de l’analyseur à courbure pour le test de la qualité optique des télescopes à partir d’images défocalisées. Ils contribueront ainsi à l’identification de l’aberration sphérique du HST.

La contribution de François Roddier à l’OA est originale et pertinente. Compte tenu du coût de ses systèmes, il a proposé une stratégie de design pour maximiser leur efficacité compte tenu des propriétés connues de la turbulence. Les systèmes à courbure qu’il a inventés y répondaient. Il a beaucoup milité et œuvré pour une diffusion large des systèmes d’OA pour l’astronomie dans l’IR fonctionnant sur étoile naturelle sachant qu’à l’époque les systèmes à étoile laser étaient encore peu performants. Avant de partir à la retraite, il a rassemblé toutes ses idées et édité un livre sur l’OA en y invitant plusieurs contributeurs : Adaptive Optics in Astronomy (1999).

Fin de carrière aux USA

Contribution offerte par Olivier Guyon

J'ai été le dernier étudiant en doctorat de François, du début de 1998 jusqu'à la retraite de François de l'Institut d'astronomie de l'Université d'Hawaï en 2001.

François a été l'un des premiers à réaliser que l'optique adaptative était essentielle pour permettre une recombinaison interférométrique efficace entre de grands télescopes. Il a ainsi encouragé le déploiement de l'OA sur l'interféromètre CHARA et, avec les pionniers de l'interférométrie optique, a plaidé pour que les grands télescopes équipés d'OA au sommet du Mauna Kea soient reliés interférométriquement par des fibres monomodes, ce qui est devenu le projet OHANA.

François avait une connaissance approfondie des principes fondamentaux de l'optique astronomique, ce qui lui permettait d'identifier des solutions élégantes et simples en interférométrie, en optique adaptative et en coronographie. Il simplifiait des problèmes que la plupart d'entre nous considéraient comme trop complexes pour être abordés, et conceptualisait des solutions pratiques combinant simplicité et optimalité. Cela a fait de François un grand mentor, qui m'a appris à aborder les nouveaux problèmes en commençant par les principes physiques essentiels.

Les systèmes d'OA basés sur la courbure qu'il a développés étaient inégalés en termes de performance et de sensibilité, utilisant de manière optimale un petit nombre de détecteurs de comptage de photons pour contrôler presque autant de modes de front d'onde. En associant la détection du front d'onde par courbure à des miroirs déformables par courbure, les systèmes qu'il a construits pouvaient fonctionner à grande vitesse avec le matériel disponible à l'époque. François a montré que l'optique adaptative astronomique pouvait fournir des images nettes de cibles peu lumineuses, élargissant considérablement sa portée avant que les systèmes stellaires à guidage laser n'arrivent à maturité.

François a eu l'idée d'unifier la coronographie et l'interférométrie annulante en remplaçant le masque opaque du plan focal d'un coronographe de Lyot par un masque partiellement déphasant. Ce masque circulaire, plus petit que la taille caractéristique de la diffraction, induit des interférences destructives entre la lumière de l’étoile traversant le masque déphasant et celle évitant la région déphasante, résultant en une image à haute dynamique. Ce coronographe, aujourd’hui appelé “de Roddier”, a été le premier d’une famille aujourd’hui très riche de coronographes à masque de phase. De tels masques équipent aujourd’hui les grands télescopes au sol et dans l’espace et permettent une imagerie directe, très efficace, des exoplanètes à proximité angulaire de leur étoile hôte.

Travaux & réflexions sur la thermodynamique de l'évolution et de l'économie

Contribution offerte par Olivier Lai

J'ai eu la chance de travailler avec François et Claude pendant mon post-doc au Keck lorsque nous avons essayé d'implémenter leur ancien interféromètre à rotation de pupille (qu'ils utilisaient dans les années 80 au CFHT visuellement) sur le bras capteur de front d'onde du système KeckAO (mais il y avait trop de vibrations sur le ciel). Nous sommes devenus amis et sommes restés en contact après son départ d'Hawaï et son retour en France.

Après avoir quitté le domaine de l’optique et de l’astronomie en 2001, François partit prendre sa retraite avec Claude dans leur maison familiale à Carqueiranne dans le Var. Étant avant tout un scientifique passionné, il continuait de se poser des questions sur le fonctionnement du monde et peut être encore plus avec le temps libéré par sa retraite. En particulier il s'est intéressé à des questions sociétales, mais étant physicien dans l'âme, il les a abordés d'un point de vue thermodynamique.

Entre 2005 et 2019, il a tenu un blog « Point de vue d’un astronome » que beaucoup d'entre nous suivaient assidûment ; on y retrouvait des éléments de thermodynamique des systèmes ouverts, de la biologie de l’évolution, des commentaires enrichissants sur l’économie, sur l’étude des structures auto-organisées ou sur les effondrements de société comme le livre de Jared Diamond « How societies choose to fail or succeed » (son premier article, datant du 9 octobre 2005), et l’on assistait à l’éclosion d’une idée profonde : toute structure dans l’univers n'apparaît que pour maximiser l’entropie globale du système, et dissiper l’énergie disponible pour faire du travail (énergie de Gibbs). En effet, la deuxième loi de la thermodynamique (S>0, l'entropie ne peut qu’augmenter) ne s'applique qu'aux systèmes fermés. Mais nous assistons à des structures auto-organisées (à « entropie négative ») dans notre univers (galaxies, étoiles, vie), apparemment en contradiction avec la deuxième loi. La solution à ce paradoxe apparent est de considérer que dans les systèmes ouverts, l'entropie peut diminuer localement, en important des informations de l'environnement pour augmenter la dissipation globale de l'énergie libre de Gibbs et maximiser le taux d'augmentation de l'entropie. Les fondements théoriques de cette « troisième loi » de la thermodynamique ne sont que récents, ils sont dus à un biologiste écossais travaillant à Bordeaux, Roderick Dewar : « Information theory explanation of the fluctuation theorem, maximum entropy production and self-organized criticality in non-equilibrium stationary states », Journal of Physics A, 36, 631 (2003). En lisant le blog de François, la phrase du célèbre physicien John Archibald Wheeler ne cessait de me revenir à l’esprit: “To my mind there must be, at the bottom of it all, not an equation, but an utterly simple idea. And to me that idea, when we finally discover it, will be so compelling, so inevitable, that we will say to one another, ‘Oh, how beautiful. How could it have been otherwise?’”

De manière très didactique, comme à son habitude, François a su montrer comment ce principe, d’importer de l’information de son environnement afin de mieux dissiper l’énergie disponible, s’appliquait à des systèmes physiques, chimiques, biologiques et même sociétaux. Dans ce paradigme, on retrouve de nombreux concepts connus dans les systèmes complexes, tels que les bifurcations, la micro- et macro-évolution, la théorie des équilibres ponctués, les processus de sélection naturelle avec leur rétroaction (l’effet de la reine rouge) ou encore la Loi de Zipf. Avec un niveau d’abstraction propre à un scientifique visionnaire, il décrivit comment la vie a pu apparaître sous l’influence de ces principes thermodynamiques, expliquant comment des structures autocatalytiques (enzymes) auraient pu se développer lors de cycles convectifs autour du point critique de l’eau, menant à la formation d’ARN et enfin d’ADN, dans des conditions que l’on retrouve dans des cheminées géothermiques sous-marines. Avec ce même niveau d’abstraction, il reprit et étendit les idées de Richard Dawkins sur l’évolution mémétique, qui permet de transmettre bien plus d’informations que les gènes, et de s’adapter bien plus rapidement afin de mieux dissiper l'énergie et les ressources disponibles. A partir de ce point-là, il était naturel de percevoir que ces mêmes lois s’appliquent aussi à l’évolution culturelle. Voir l’histoire du monde à travers le prisme de la thermodynamique est frappant, car on retrouve les mêmes cycles, mais surtout on comprend pourquoi ces schémas se répètent, et qu’il existe un principe sous-jacent qui organise les structures, de l’échelle des molécules aux organismes aux sociétés.

François a présenté ses idées à la communauté scientifique pour la première fois lors d'une conférence à l'IAP le 5 octobre 2010 et il a écrit trois livres « Le pain, le levain, les gènes » (2007), « la Thermodynamique de l'évolution » (2012) et « De la thermodynamique à l'économie » (2018), posant les bases pour ces idées nouvelles. De nombreux scientifiques avec qui j’ai pu en parler ont compris la portée de ces travaux appliquée aux systèmes physiques (transition laminarité aux turbulences, développement d'ouragans, etc.) et biologique (évolution, sélection naturelle et adaptation à l'environnement). Le principe thermodynamique derrière ces idées est tellement convaincant dans un si large éventail de sujets qu’il semblait naturel à François de les étendre à la culture et à l’économie, ce que certains ont critiqué pour avoir dépassé le champ de validité des hypothèses d’un principe aussi simple. Cependant, dans son dernier livre concernant l'application de la thermodynamique à l'économie, il utilise l'équation des gaz de Van der Waals pour décrire de façon convaincante et avec précision le cycle dépression -› inflation -› stagflation -› effondrement qui est évident dans chaque culture et civilisation mais n'est pas capturé par l'économie classique. François comprenait aussi très bien les implications de ses travaux et appréhendait à sa juste valeur la situation difficile à laquelle l’humanité fait face aujourd’hui.

Ces œuvres démontrent à quel point l’esprit de François était scientifique, au sens noble du terme : il cherchait les solutions les plus élégantes même si celles-ci étaient à contre-courant et n’hésitait pas à se montrer véritablement créatif pour trouver des solutions à des problèmes qui éveillaient sa curiosité. Cela aura été un réel honneur pour moi que de partager son pain au levain en sa compagnie, sachant que c’était à la fois l’aboutissement de 10 000 ans d’évolution humaine et l’inspiration pour ses idées sur le moteur de cette même évolution.

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